Numérique et accessibilité : le cas des ebooks

L’accessibilité numérique dépasse le cadre des sites web. Pour évoquer le sujet de l’accessibilité des e-books et des livres numériques, entretien avec Laurent Le Meur, directeur de l’EDRLab (laboratoire européen du livre numérique).

Sur quel socle technique reposent les e-books et livres numériques ?

Les livres numériques sont actuellement publiés sous différentes formes :

  • des formats propriétaires, impossibles à utiliser en dehors du silo pour lesquels ils ont été conçus,
  • des formats standards, qui donnent à leurs utilisateurs une grande liberté d’utilisation.

Le format propriétaire le plus utilisé est celui des livres Amazon. On ne peut les lire que sur Kindle ou sur une application Amazon. SI vous désirez utiliser une autre application de lecture que celle proposée par Amazon, tant pis pour vous.

Le format standard le plus utilisé est le format EPUB (pour Electronic Publication). Ce format est basé sur les technologies du Web, soit HTML, CSS et Javascript : une garantie d’ouverture et d’évolutivité.

Ce format est beaucoup plus flexible que le format PDF, car le contenu peut s’adapter de manière fluide à la taille de l’écran du lecteur : pas besoin de zoomer et de se déplacer inconfortablement dans une page. Et ce format est également accessible, c’est à dire que l’on peut modifier la police, la taille de la police, l’interlignage, la couleur de fond, que le contenu textuel peut être transformé efficacement en voix synthétique ou synchronisé avec une voix humaine, transformé en Braille etc.

On trouve également un format de niche nommé DAISY dans le domaine du handicap visuel, mais ce format est actuellement en cours de remplacement par le format EPUB, d’usage plus global.

La problématique de l’accessibilité est-elle similaire pour un ebook et un site web ? quelles sont les différences majeures ?

Les problématiques sont très similaires, puisque les technologies sont identiques, mais des différences notables sont à souligner. Tout d’abord, un ebook est une collection ordonnée de pages ; les métadonnées d’un ebook sont donc différentes des métadonnées d’une page Web. Ensuite, la synchronisation fine du texte et de l’audio n’est pas prise en compte actuellement dans le domaine des sites Web ; le travail effectué dans le domaine du livre servira de modèle à de futurs travaux au sein des navigateurs Web.

Pourquoi les e-books et livres numériques ne sont pas accessibles par défaut aux mal-voyants ?

Pour résumer, un ebook nativement accessible aux personnes atteintes de déficience visuelle est simplement un ebook bien structuré. Les différentes sections sont proprement qualifiées, comme un titre de niveau 2, une note de bas de page, un encadré, et les images sont accompagnées de légendes descriptives. Rien de bien sorcier, mais une certaine attention à porter à la conception du livre.

Pour des productions simples, rien ne s’oppose à la publication d’ebooks accessibles, sauf une méconnaissance des possibilités des outils d’édition actuels ou un manque d’attention au sujet. Les outils de production et de lecture EPUB 3 sont là, et il n’y a pas de surcoût de passage à une production EPUB 3 accessible.

Il est indéniable que les outils de production actuels ne sont pas optimisés pour ce type de structuration « sémantique », et EDRLab compte aborder ce problème à terme.

Pour les livres complexes, par exemple les ouvrages scolaires ou les publications graphiques, le problème est plus délicat. L’attention nécessaire pour enrichir ces ouvrages et compenser une déficience visuelle est très importante. Le problème n’est pas toujours technique, mais plutôt de temps et de coût. EDRLab travaille donc avec les associations françaises spécialisées sur les meilleurs moyens d’enrichissement d’ouvrages scolaires au format EPUB 3.

J’ai parlé jusqu’ici de l’accessibilité des livres aux personnes handicapées visuelles. Mais parlons également des personnes atteintes de dyslexie, soit environ 5 % de la population. Pour ces personnes, lire est au minimum inconfortable, parfois quasi-impossible. Pour les enfants, cela veut dire qu’apprendre est beaucoup plus difficile, un vrai fléau éducatif.

Quelles personnes en situation de handicap sont affectées par la qualité des livres numériques ?

Toutes les personnes affectées de handicaps visuels (malvoyants et aveugles), cognitifs (dyslexiques, dyspraxiques etc.), voire sourds ou malentendants, doivent bénéficier d’une attention soutenue des éditeurs de livres électroniques.

Quelles difficultés rencontrent concrètement ces personnes ?

Prenons un exemple simple : les utilisateurs malvoyants ne peuvent pas profiter d’un livre électronique mal structuré, lors de sa lecture par un logiciel de vocalisation. Les notes de bas de page sont mélangées au corps du texte, des numéros de page sont lus en plein milieu d’une phrase, etc. Ils ne peuvent pas non plus naviguer efficacement si les titres ne sont pas correctement indiqués, ou s’il est impossible de s’échapper d’une liste par exemple car elle n’est pas indiquée comme telle.

Les personnes dyslexiques ont quant à elles besoin de « béquilles », c’est à dire d’options personnalisables pour la visualisation des textes : surlignage de parties du texte, espacement des caractères, des mots, des lignes, règles permettant d’isoler une ligne, etc.

Quelles sont les premières solutions envisagées pour rendre les ebooks accessibles ?

EPUB 3 est indiscutablement le futur des formats accessibles.

Un format spécifique a été créé dès 2001, le format DAISY. Les livres numériques au format Daisy sont créés par des organismes spécialisés (par exemple l’Association Valentin Haüy et BrailleNet en France), pas directement par les éditeurs. Ces associations ne peuvent pas traiter la totalité des publications, loin de là : on estime que 5 à 10 % de la production éditoriale est convertie en format Daisy.

Le consortium Daisy a donc décidé il y a plusieurs années de participer à l’évolution du format EPUB, de manière à obtenir un format puissant en matière d’accessibilité. Le résultat le plus abouti de cet effort est le format EPUB 3, dans lequel les principes d’accessibilité sont très clairement spécifiés.

On commence ainsi à voir sortir des « presses numériques » des éditeurs une production de livres numériques EPUB 3 nativement accessibles, qui ne nécessitent pas d’être adaptés par des associations spécialisées. On peut maintenant espérer mettre un terme à ce que les anglophones appellent la « book famine ».

Comment sont reçues ces solutions par les éditeurs ?

Les éditeurs français participent activement à cette évolution, en tant que membres EDRLab et membres du SNE. Très concrètement, le SNE, le CNL et la BNF viennent d’annoncer que la quasi-totalité des livres de la rentrée littéraire est disponible en format EPUB 3 accessible. Ces avancées ont été obtenues par des partenariats multiples, dans lesquels EDRLab a été largement impliqué.

Autre exemple, le groupe Hachette publie depuis cette année la totalité de sa production « simple » (littérature entre autres) au format EPUB 3 accessible. Et j’insiste sur un point important pour la chaîne de l’édition : sans surcoût. Les éditeurs des groupes Editis et Madrigall publient également une partie de leur contenu « simple » en format EPUB accessible.

Comment sont reçues ces solutions par les acteurs du marché des liseuses (Kindle Amazon, Fnac Kobo, autres) ?

Les personnes déficientes visuelles ne sont en général pas conquises par les produits propriétaires Amazon : on ne peut acheter que sur le site du fournisseur, on ne peut pas emprunter en bibliothèque numérique, l’ergonomie n’est pas forcément adaptée à leur handicap. Les liseuses Kobo permettent l’import de publications EPUB 3, mais pas la lecture automatique des textes. Les liseuses ont de faibles capacités de calcul, ceci explique cela.

Je possède une Kindle à titre personnel depuis des années et j’apprécie notamment de pouvoir grossir la taille des caractères facilement et à tout moment. Est-ce qu’il ne serait pas utile de travailler davantage avec ce poids lourd pour les encourager sur le chemin de l’accessibilité ? Amazon pourrait avoir un effet locomotive ?

J’ai plutôt l’impression qu’Amazon, mastodonte mondial de l’e-commerce, dédaigne tout effort construit en dehors de ses murs. Les formats ouverts sont au coeur de notre vision d’un utilisateur doté d’une liberté de choix parmi une diversité de contenus et d’applications de lecture. La solution Kindle est très efficace, agile, parce qu’elle est construite intra-muros. Le dialogue international, du type W3C ou Readium, est plus difficile, prend du temps, mais c’est le seul garant de l’ouverture recherchée.

Amazon n’a sans doute pas vraiment intérêt à participer à ces discussions tant qu’il est leader mondial. Sur les fonctionnalités que vous citez, le grossissement des caractères se retrouve sur toutes applications de lecture du marché, c’est la base de la base. L’écosystème ouvert que nous défendons offre plus de possibilités, avec des milliers de bibliothèques numériques. Pas une, avec une recommandation unique, mais des milliers. Alors oui, le choix d’Amazon est un choix de confort, mais adhérer à l’écosystème ouvert et interopérable que nous construisons est presque un choix de société.

Quelles autres pistes pourraient être envisagées dans le futur ?

EDRLab mène depuis un an une mission qui s’articule autour de trois axes :

  • contribuer à rendre l’écosystème EPUB 3 français nativement accessible ;
  • accompagner les structures spécialisées dans l’adoption du format EPUB 3 comme format d’adaptation ;
  • communiquer et œuvrer, au niveau national et international, à l’adoption de ce format pour une meilleure inclusion de l’ensemble des publics empêchés.

En dehors des produits spécialisés, il faut se tourner vers des applications mobiles (iOS ou Android) pour profiter de la gestion de l’EPUB 3 et de possibilités de text to speech. On commence à trouver des applications grand public dotées de cette possibilité, et nous comptons doter les logiciels Readium du text to speech dès l’année prochaine. Ces logiciels étant les moteurs de nombreuses applications de lecture, nous devrions voir augmenter rapidement le nombre d’applications supportant la lecture à voix haute.

Il faut par ailleurs avancer sur plusieurs plans en parallèle. Premièrement, convaincre tous les acteurs de la chaîne du livre de l’importance d’un effort rapide en faveur de l’accessibilité.

  • Pour les éditeurs, il s’agit d’une bonne structuration de leurs ouvrages, puisque la structuration est un grand pas vers l’accessibilité.
  • Pour les libraires, il s’agit de présenter sur leur site les caractéristiques d’accessibilité des titres, et de permettre l’achat facile des ouvrages par les personnes handicapées visuelles (la plupart des sites e-commerce ne disposent pas d’étapes d’achat réellement accessibles).
  • Pour les développeurs d’applications de lecture, il s’agit de permettre à une personne dyslexique de choisir les « béquilles » visuelles qui lui apporteront un confort de lecture.

Il faut également poursuivre les études technologiques visant à améliorer la structuration sémantique des ouvrages : par exemple lier automatiquement certains noms à leur prononciation (le GPS de votre voiture vous a certainement fait rire plus d’une fois), isoler le genre grammatical des mots pour les surligner différemment face à une personne dyslexique etc. Ces améliorations de structure font appel à des technologies de machine learning, un sujet sur lequel EDRLab commence à travailler au sein d’un Projet d’Investissement d’Avenir nommé OPALINe, en partenariat avec l’INRIA et BrailleNet en particulier.

À propos

Laurent Le Meur, directeur d’EDRLab

Laurent Le Meur est directeur d’EDRLab, siège européen de la fondation Readium. Il travaille à développer et promouvoir des livres numériques « ouverts » et s’est graduellement investi dans le champ de l’accessibilité.

EDRLab participe à l’évolution du format EPUB, standard de l’édition numérique internationale, et développe des solutions de lecture adaptées à ce format. Ces solutions prennent en compte les besoins des personnes en situation d’handicap, mal voyants, dyslexiques…

Un grand merci à Laurent Le Meur pour sa disponibilité ainsi qu’à Aurore et Aelya qui m’ont fait découvir le sujet.

Crédits : logo Epub par Ralph Burkhardt [domaine public], via Wikimedia Commons.

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