Les promoteurs des réseaux sociaux d’entreprise font souvent dans l’incantatoire. « Essayer un RSE, c’est l’adopter ! » Ben non.
J’ai assisté le 20 mars dernier à une table ronde L’intranet 2.0 : l’état de l’art 2014 lors du Salon Solutions Intranet et Collaboratif, qui m’a inspiré quelques réflexions. Attention, ce qui suit n’est pas le reflet des discours plutôt mesurés et souvent intéressants que j’ai pu entendre à cette occasion. Mais le décalage entre les discours ou supports marketing et la réalité du terrain n’en finit pas de se creuser.
La vie rêvée des RSE
Le discours sur les réseaux sociaux d’entreprise ressemblent un peu à ça.
Monsieur le Président, avec un RSE, tout à coup, vos collaborateurs vont se mettre à collaborer et à communiquer plus efficacement, à partager ce qu’ils gardaient avant jalousement pour eux-mêmes. Vous allez voir, ils vont gagner du temps et travailler mieux et plus vite. Et votre climat social sera au beau fixe, d’ailleurs dans RSE, il y a social. Et je ne vous dis pas comment vous allez innover vachement plus, devenir plus performant et bien sûr faire plus de pognon (oui, notre directeur associé est là pour assurer que le réseau social répond à des objectifs business).
Si ça ne suffit pas, lancez des mots comme « création de valeur » et votre argumentaire est bouclé. Impliquez bien sûr la direction qui dira OK en pensant que c’est bien pour les sous-fifres mais qui ne se sent pas concerné, faites un peu de com’ en appelant ça conduite du changement et c’est la réussite assurée.
La vraie vie des RSE
Dans la réalité, les discours restent des discours alors que les RSE se transforment en RES (ratages en série) : 9 sur 10 sont des échecs et souvent dans les 6 premiers mois. De plus en plus de voix s’élèvent contre les marchands de RSE et militent en faveur de l’internalisation des médias sociaux existants comme LinkedIn, Facebook ou Google+. Lire à ce sujet les articles de Louis Naugès ou de Nicolas.
Les causes de l’échec
Je n’ai pas la prétention de vous livrer ces causes, qui varient en fonction des situations. Et j’imagine que les boîtes de conseil dont le chiffre d’affaires dépend de la réussite des RSE réfléchissent sur le sujet. Pour donner du grain à moudre à ceux qui pensent, je tenterais bien l’hypothèse suivante : les RSE sont souvent vendus pour répondre aux objectifs cités dans la vie rêvée et non pour résoudre réellement les problèmes de la vraie vie. Tout le monde veut pouvoir travailler mieux et plus vite, donc la question n’est pas de faire adhérer à ces objectifs. D’ailleurs, ce sont des conséquences plus que des objectifs.
Je vous invite d’ailleurs à lire la présentation ci-dessous, qui n’évite pas quelques affirmations gratuites mais a le mérite de soulever de vraies questions.
Je retiendrais deux problèmes cruciaux et auxquels votre RSE doit s’attaquer en priorité.
Les emails ne sont se jamais aussi bien portés
L’usage de la messagerie électronique est bien installé. Tout le monde s’en plaint, à tous les niveaux de l’entreprise, y compris le top management. Acheter un RSE qui prétend réduire le nombre d’emails échangés a de quoi séduire. Dans la réalité, les collaborateurs continuent d’envoyer des messages à 10 destinataires et 50 en copie, chacun répondant à tous avec une belle signature sur 10 lignes, ajoutant le petit message Evitez d’imprimer si vous aimez les arbres. Le message le plus bref du type « je ne sais pas » génère ainsi une dizaine de lignes. Résultat : chacun vient aux réunions avec 10 pages retraçant l’historique d’échanges souvent inutiles.
Les participants de la table ronde ont proposé deux pistes de réflexion.
- Le « O email » clamé par Thierry Breton, le PDG d’Atos, est surtout un raccourci de communication. Dans la réalité, il s’agit plutôt de rééquilibrer les usages entre les outils (Email-Sharepoint-RSE) et de créer des passerelles entre ces outils. L’utilisation de chaque outil à bon escient est une des clés de la réussite.
- Attention aux raccourcis faciles qui viseraient à reverser les messageries électroniques vers le RSE. Limiter le nombre des emails n’est pas une fin en soi et déplacer le problème ne le résout pas. Avec un nécessaire travail de mise en cohérence et d’accompagnement de cette mise en cohérence, le manager trouve un nouveau rôle, ou une nouvelle facette de sa mission. Il faut aussi formaliser et structurer le résultat des échanges pour qu’il puisse être facilement trouvé, sinon les mêmes discussions pour trouver des solutions aux mêmes problèmes se répéteront à l’infini.
Les informations restent dispersées et dupliquées
Faites l’inventaire des différentes localisations d’une information très basique, par exemple la fiche de poste de Machin. Elle va se trouver dans la boîte aux lettres de Machin, de son supérieur hiérarchique, de quelques personnes aux RH, le tout en X versions pour peu qu’il y ait des ajustements à chaque entretien annuel. Cette fiche de poste sera également disponible dans 2 ou 3 répertoires partagés, et éventuellement sur l’Intranet. Et le jour de l’entretien annuel, chacun va passer une heure à chercher la dernière version pour finalement constater que chacun a trouvé une version différente.
Sur ce sujet, seul X-Wiki propose une approche vraiment différente. Selon son patron, Ludovic Dubost, il faut revoir notre modèle de gestion de l’information, basée historiquement sur le document, le fichier. On organise les informations dans des fichiers Excel ou Word qu’on passe son temps à télécharger, à stocker, à envoyer. Pourquoi ne pas utiliser des pages web organisées et structurées, qui permettent de tracer les modifications, leurs auteurs, les dates et de retrouver facilement l’information dans un lieu unique ? Le patron de X-Wiki va plus loin, préconisant de laisser les utilisateurs définir eux-mêmes la structuration de l’information, plutôt qu’elle soit décidée par la Com’, les RH ou la DSI. Après tout, personne ne vous impose la manière de prendre des notes, vous avez le droit de choisir entre Moleskine ou Evernote… L’histoire ne dit pas comment on gère le changement fondamental des habitudes, mais ce n’était pas le sujet.
Commencer à vérifier que votre RSE ou votre projet de RSE résout ces 2 problèmes. Ensuite, rassurez-vous, l’échec fait grandir ;-)
Disclaimer : je travaille chez XWiki SAS
Merci pour cet article, qui est loin de la vision idéalisée des RSE qui nous est souvent vantée. Je pense que l’une des principales difficultés des RSE est qu’ils se focalisent le plus souvent sur les employés (moi, mes contacts, mes groupes…) plutôt que sur les problèmes métier de l’entreprise.
Là où le RSE utilise la personne comme bloc fondamental, on voit que la GED se structure autour du document. Des outils tels que XWiki (et il y en a d’autres, comme Podio par exemple) se focalisent plutôt sur la notion d’information et tentent de la remettre au centre des processus.
Dans cette optique, l’outil devient un support pour des blocs d’information métier (une fiche de poste, une procédure, un contrat-type, une fiche d’incident…) qui correspondent aux besoins métier de l’entreprise. Le mail trouve alors naturellement sa place comme outil de notification, mais il n’est plus le vecteur qui porte l’information.
Oui, j’aime bien l’approche XWiki que je trouve intéressante et novatrice. Mais quelle entreprise peut se permettre une telle rupture dans les usages ?
En général, nous essayons justement d’éviter la rupture. L’idée est de reprendre des processus existants, et de les intégrer au sein de l’outil. Typiquement on va remplacer des process gérés via Excel et Word et le basculer dans XWiki. Du coup ça apporte directement une valeur ajoutée tangible à l’organisation. À partir du moment où les utilisateurs vont plus vite pour leurs tâches, c’est gagné.
J’entends bien, mais il y a une vraie culture du document en France dans la conception et dans la gestion de l’information. Word est intrinsèquement lié à nos usages dans la construction de l’information et je vois mal des salariés passer en 2 coups de cuiller à pot de Word à XWiki. Il y a bien une culture du changement à intégrer avant que le quidam moyen se dise : je vais travailler sur une fiche de poste ou une note ou un brief… sans lancer Word ! On est bien dans un changement d’habitude de plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années de vie professionnelle, et donc dans une rupture qu’il faut pouvoir et savoir assumer comme telle.
Oui, il est certain que l’utilisation de Word ne va pas s’arrêter du jour au lendemain de façon magique. De notre côté, pour proposer des solutions à ça nous avons développé 2 fonctionnalités :
* Un outil de prévisualisation de contenus Office
* Un outil d’import de documents Word avec conversion automatique en page wiki, avec filtrage des styles et récupération des images
Ça permet à ceux qui ne sont pas prêts à abandonner Word de continuer à l’utiliser au quotidien, tout en mettant en ligne ses livrables.
Maintenant il est clair qu’on est encore loin du responsable de département dans une administration ou une grande société qui va instinctivement ouvrir son navigateur et aller dans XWiki pour rédiger sa prochaine note de cadrage…
Vision tout à fait réaliste, qui rééquilibre un peu les choses face aux fantasmes des RSE. Une bien belle présentation slideshare qui mériterait de la faire passer plus en entreprise. merci 🙂
Le sujet est vraiment très bien senti, et j’y abonde. Quelquefois on parle d’obésité, il semble bien que le RSE y contribue sans réel intérêt. Surtout quand il demande un usage spécifique, et qu’il est contraint dans une « charte » interne aux entreprises, il ne fait que porter des infos béni oui-oui. Je partage