Depuis que l’affaire de la Ligue du LOL est sortie, il règne une atmosphère nauséabonde qui rappelle les heures sombres de notre Histoire. La twittosphère semble divisée en deux : d’un côté les bourreaux et leurs complices, de l’autre les victimes et leurs soutiens. La réalité est plus complexe.
De nombreux articles et témoignages sur Twitter ont démontré et démonté les mécanismes pervers de l’auto-proclamée Ligue du LOL. Réunis au sein d’un groupe Facebook, 30 à 40 twittos influents s’en sont pris à des personnes plus faibles ou plus isolées qu’eux. Dans une espèce de cour d’école 2.0, ces pervers narcissiques ont uni leurs forces pour harceler et détruire des vies et des carrières, à coups de twits assassins et de montages photos dégradants. Cf quelques références à la fin de cet article si vous ne connaissez pas l’histoire.
Manichéisme et amnésie
Mon interrogation porte aujourd’hui sur cette chasse aux sorcières : elle évoque celle qui a suivi la Libération. Oui, il y a eu de vrais bourreaux, avec une liste qui semble identifier les principaux acteurs. Oui, il y a eu de vraies victimes, notamment des journalistes et des blogueurs/blogueuses. Entre le marteau et l’enclume, j’ai l’impression qu’il n’y a plus personne.
J’admire la dignité des victimes qui témoignent et permettent de mettre au jour des agissements intolérables qui méritent d’être punis. Je suis plus sceptique sur le comportement d’autres qui crient avec la meute, en essayant parfois de se refaire une virginité. Certains comme Emery Doligé se font rattraper par la patrouille.
Le cas Emery Doligé @EmeryDolige… qui a passé son Twitter au karcher…@deedeeparis @Lucile_Reynard #ligueduLOL #laLiguedulol pic.twitter.com/uNhjo4PqFT
— Fallait Pas Supprimer 📸 (@FallaitPasSuppr) 12 février 2019
Aujourd’hui, tout le monde condamne ou se tait. Depuis une semaine que je suis l’affaire, je n’ai pas vu beaucoup de témoignages disant : « je savais mais je n’ai rien fait » ou « je savais et en plus j’ai retweeté ou applaudi ». Pourtant, si les conséquences pour les victimes ont été aussi traumatisantes, c’est que les actes émanaient de personnes influentes, sans quoi leur harcèlement aurait fait moins de dégâts. Les followers ont encouragé et amplifié les agissements de la Ligue. Pourquoi ne les entend-on pas faire acte de repentance ?
50 nuances de lâcheté ou d’ignorance
La lâcheté est protéiforme. Quelques leaders ont créé la Ligue du Lol, quelques suiveurs l’ont rejointe, d’autres ont participé sans appartenir au groupe, certains ont hurlé avec les loups dans l’espoir de se faire repérer par les caïds, un certain nombre de voyeurs se sont délectés, beaucoup ont espéré que l’épée de Damoclès continue de tomber sur la tête des voisins.
Certaines réactions virulentes laissent penser que toute la twittosphère connaissait les agissements des membres de la Ligue du Lol. On parle ici de 30 à 35 personnes, visibles certes, mais qui évoluaient dans le microcosme branché du journalisme et des agences de pub parisiennes.
J’ai recherché dans mes archives Twitter pour vérifier si j’avais été en interaction avec les membres de la Ligue du Lol. Un seul figurait dans mes abonnements de l’époque : Gautier Gevrey, alias @woumpah, directeur artistique freelance, travaillant à la Mairie de Paris à l’heure où j’écris ces lignes. Nos interactions se sont limitées à 4 tweets anecdotiques.
En réalité , les blogosphères et les twittosphères sont plus étanches entre elles qu’on ne semble le penser. Il y a une dizaine d’années, j’appartenais à la petite sphère des blogueurs « high tech ». A part quelques stars comme Eric Dupin, la plupart se contentaient de partager leur passion, en espérant mettre un peu de beurre dans les épinards. Des petits groupes se formaient au fur et à mesure qu’on se commentait les uns chez les autres, qu’on se retweetait et qu’on se mentionnait dans des « foires aux liens ».
Je n’ai jamais eu connaissance de harcèlement caractérisé au sein de cette petite communauté. Ce n’était pas non plus un monde idyllique : des jalousies existaient comme partout, il y a eu des piques, des clashs. Beaucoup, moi inclus, ont cédé à l’argent facile (par ex. prendre 100 € pour faire un lien vers un site de jeux en ligne) ou brossé dans le sens du poil les blogueurs influents (Jegoun, Dupin et quelques autres). On parle de petites lâchetés, pas d’attaques ad hominem répétées.
Qu’auriez-vous fait ?
Depuis que la bulle de la Ligue du LOL a éclaté, l’attitude la plus répandue se résume en une phrase : « Si j’avais su, je serais rentré en Résistance ». A la Libération aussi, il y avait beaucoup plus de Résistants que pendant les cinq années précédentes.
Moi, je me demande ce que j’aurais fait. J’espère que j’aurais eu le courage de réagir si j’avais eu connaissance de harcèlement. J’espère que j’aurais lutté s’ils s’en étaient pris à moi. Parmi les victimes déclarées, un seul nom ne m’était pas inconnu : Christophe Ramel, alias Kriisiis. L’aurais-je défendu bec et ongles si j’avais su qu’il était la cible des attaques de la Ligue du LOL ? J’espère que oui, même si ce n’était pas un pote. Et si j’avais tenté de le défendre, aurais-je continué s’ils s’en étaient pris à moi ensuite ?
Si certains d’entre vous partagent ces interrogations, j’espère que vous partagerez ma conclusion. De tous les noms qui ont été cités , je ne connais qu’un bourreau et qu’une victime et pourtant cette histoire me touche. Cette affaire nous renvoie à nos propres lâchetés, à nos concessions. J’aurais pu être moi-même un bourreau ou une victime, voire même endosser les rôles tour à tour. J’espère que cette prise de conscience me rendra vigilant et me donnera le courage d’agir si je devais être confronté à cette situation.
On ne pourra plus dire : « je ne pensais pas que ça existait ».
A propos de la ligue du LOL
L’analyse la plus fine reste celle de Xavier de la Porte sur France Inter
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